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Les LETTRES DE MA MAISON N°9
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Hantant la ville et les espaces publics, un troupeau de maisons hautes et étroites, qui s'ouvrent comme des boîtes à musique sur des histoires d'amour enfermé.
Les grandes envolées d'un projet passent à la moulinette de la réalité: ce parcours inévitable qu'on appelle création. Chronique de chaque étape.

 

Trois maisons bien différentes, trois ambiances musicales différentes et puis le reste : les cérémoniels, les dialogues, les contre-saynètes. Le projet bouge déjà et il me faut en rectifier la présentation pour qu'elle suive l'évolution. Les Maisons Hantantes, c'était le contenant. Le contenu commence à prendre toute sa place. Où il apparaît que le contenu des Maisons, ce sont les Coincés du Cœur, une définition qui en vaut une autre mais a l'avantage du lapidaire. Où il apparaît aussi que pour les présenter au public, il faut des clefs, des accompagnements, des convivialités.

Ces trois premières maisons vont donc se rencontrer pendant que Patrick est à Bar le Duc avec son frère Didier pour construire la quatrième.

Chez nous le mois de Juin n'est jamais trop propice aux répétitions approfondies. Trop de monde qui passe, de matériel qu'on prépare ou déménage… Où on se dit que notre local n'est pas des plus adaptés à notre activité. Il faut taper sur le planning comme une bûche pour y caser des coins pour se concentrer. Mais les Maisons sont à Champigny, chez un loueur d'espace au mètre carré. Au moins on est ailleurs.

Hormis son défilé, la fête de Trappes se déroule dans un stade que nous serons amenés à partager avec le podium des associations, les orchestres, les structures gonflables et les stands. ça ne nous fait pas peur. La seule question est : qu'est-ce qui passera de notre représentation ?

Véronique, aidée de quelques stagiaires, donne la dernière main à la Maison Jaune qui prend de plus en plus des allures de Versailles. J'ai changé sur le site la définition du projet des Maisons.

Le scénario prévu pour Trappes sera, outre une intro par le Sniper, une alternance du jeu des maisons et des péremptions puis une courte conclusion. Le tout sera joué deux fois.

Nous n'avons pas résolu le problème du transport des maisons. Deux 23m3 ont été loués. Il faut démonter chaque maison pour la caser là-dedans, la transporter, la remonter, la jouer, la démonter, la recharger, la transporter, la décharger, la remonter. Pour la Rouge ça va vite, pour la Jaune un peu moins, pour la Rose c'est galère. Il y a deux régisseurs mais ils ne suffisent pas évidemment.

Le cagnard tape sur Trappes, il est 14h30, les maisons s'ébranlent à l'entrée du stade. On joue devant peu de monde mais peu à peu ça vient. Je me suis rendu compte que, de loin, le spectacle paraissait destiné aux enfants, ce qu'il n'est vraiment pas, loin de là, même si leur culture et leur imaginaire sont émaillés d'ogres, de monstres et de sorcières. En fait, ils ne sont pas choqués, tout dépend finalement de l'attitude des parents. Ce qu'ils comprennent, par contre, je n'en sais rien, pour l'instant.

C'est un peu bancal notre histoire, il y a du jeu dans les rouages. Mais on a fendu le quatrième mur à plusieurs reprises. Les moments de dialogue ou d'interpellation amènent ailleurs. Isabeau nous fait une péremption très forte. Jacot qui a pris le costume de Tireficelle après la maison rouge, amène du mouvement, de la convivialité.

Dans le public, il y a aussi Maryz et Estelle qui nous ont bien aidé, Véronique, Dominique, Jean Marc qui ont participé aux constructions, et puis d'autres comédiens de la compagnie qui jouent par ailleurs les Pilleurs de Câlins. Tout ce petit monde suit très attentivement le jeu.

C'est tellement incongru ce qu'on propose ici ! On se dit que le soir est vraiment plus propice, ou un square un jardin… Et pourtant ça existe et ça ne se renie pas.

Je ne peux pas m'empêcher de mettre ça en perspective avec Victor Frankestein, la dernière création de Joe Bitume que nous avons eu la chance de voir dernièrement à St Sébastien sur Loire. Le problème de ce qu'on amène de spécifiquement artistique à la rue et de jusqu'où on peut y aller. Sortir de l'animatoire demande des gants.

Jusque là nous avons utilisé la politesse de l'humour qui nous a bien protégés. La Chorale est maintenant quasi de salle même quand elle passe en rue. Et si ce n'est par l'esprit et l'énergie, elle n'est pas spécifique à l'espace public. Les déambulations de proximité si , et totalement, avec ce luxe que nous avons de pouvoir y zapper le spectateur. Ici c'est différent. Il y a du matériel, du son, un propos quasi psy et ça déroute un peu de jouer pour une fois un truc presque sérieux. J'avais envie de raconter de façon presque anodine des histoires cruelles. Où termine l'anodin, où commence le cruel ?

Joe Bitume nous raconte une histoire avec son arme préférée : un espace éclaté, et un arsenal de moyens (musique en direct, vidéo en direct, jeu, chorégraphies, structures mobiles…) pour un même propos. Et ceci sans pause. Le train va sur ses rails jusqu'au terminus. Outre la différence de moyens, nos histoires à nous sont multiples, elles sont coupées par des interrogations, des explications, des complications, des présentations. Nous cherchons la même chose cependant : être magiques. La magie c'est ce moment où l'on ne s'interroge pas sur où, ni quand, ni comment on a vu et reçu une émotion artistique mais où tout le boulot qu'il a fallu faire avant devient à l'évidence nécessaire.

Je crois qu'on ne peut pas asséner un spectacle dans la rue. Le public y est chez lui. Il est vain de se contenter d'y débarquer en disant : « voyez quel artiste génial je suis » et de tout déballer. C'est prendre le risque de n'être ni suivi ni compris. Les grands tralalas, les flonflons, les méga-productions, ça me laisse souvent froid, sauf quand il y a fêlure. Je me dis, en tant que public –mauvais, forcément- qu'il faut, avant de me montrer quelque chose, m'apprivoiser. Pour moi c'est la première et la plus déterminante contrainte des arts de la rue : apprivoiser, créer une passerelle de sens et des connivences. Avec les sujets qu'on promène c'est encore plus nécessaire et loin d'être facile. Et en ce qui concerne les grosses jauges (problème que nous n'avons pas encore) ce n'est pas tout simple.

Au cours du débriefing improvisé partagé avec les quelques courageux qui ont bu la régie jusqu'à la lie, Sam me racontait qu'à Trappes comme à Plouigneau deux spectateurs étaient venu le voir, ému, pour le remercier. Quels lièvres chez eux avons-nous soulevés ?

Le 27 Juin, je pars avec l'équipe de la Maison Marron pour la faire vivre à Bar le Duc.

(à suivre)

le dossier en résumé: http://www.acidu.com/fichmaison.htm