VOYAGE EN CM1Avertissement : cette chronique est écrite à l’occasion d’une série d’interventions dans 2 classes à PAC que j'ai effectuées en cette année 2008 à Sotteville les Rouen avec le soutien de l’atelier 231 dans le but d'impliquer plus avant l'activité de la cie vers des pratiques citoyennes et de partage. Elle est conçue comme un carnet de voyage. Sur tous les stages et formations que j’ai pu donner à différents publics, je me suis toujours considéré comme une sorte de guide de randonnée – en basse, moyenne ou haute montagne selon les cas – chargé de faire découvrir de nouveaux horizons extérieurs autant qu’intérieurs. Le théâtre et les différentes façons de le pratiquer, les techniques d’acteur et d’expression constituent un champ trop vaste pour qu’on puisse le réduire à une seule vérité. La mienne en tous les cas est que chacun doit avoir l’occasion de se l’inventer. Ce voyage théâtral est le premier que j’effectue avec un aussi jeune public. C’est à ce titre qu’il m’a particulièrement intéressé, convaincu que je suis que j’ai autant à apprendre d’eux que l’inverse. Les notes ci-après sont une façon de marquer l’itinéraire parcouru et aussi comme un diaporama de mots pour conserver des traces. 15 OCTOBRE Et je débarque dans la classe ; 18 loupiots occupés à faire une exercice de math + 3 élèves venus de la deuxième classe que je devais faire et dont la maîtresse est absente. Elle me présente. Je demande s’ils sont au courant ; elle ne leur a rien dit. Les présentations sont rapides ; Certains marmonnent, d’autres ont la voix claire ; à cet age là une journée parait deux fois plus longue qu’à moi. Oui, certains connaissent le théâtre de rue, en particulier les Alamas Givrés. « On va faire une pièce de théâtre ? » me demande un loupiot. Je réponds oui mais très vite je me dis que là où il faut que je les mette, c’est dans le théâtre de leur vie. On se dirige dans le hall ; je les forme en groupes de trois et ils doivent établir un code de base (bonjour entre eux) puis saluer de façon imposée le public : premier rituel. Comme souvent à cet age là, ils minaudent, se cachent, n’osent pas la présence brute, le regard public. J’ai envie de bosser là-dessus. Mais certains se débrouillent plutôt bien. Evocation du jeu du miroir, je leur demande de faire marcher leurs trios à la queue leu leu en faisant la même chose. Belly, petit black déluré qui me semblait vouloir prendre toute la place s’avère en fait très preneur du rôle de « passeur ». Dans le trio, il se met au milieu et avec une concentration remarquable. Il se joue de mini drames instantanés. Dylan qui voulait être avec ses trois potes, se retrouve, boudeur avec deux filles qu’il traite par le haut. Du coup, une mauvaise volonté alors qu’en tant que leader, il se débrouille bien. Timothée, un petit bonhomme rêveur, se met sur une démarche étonnante sur la lenteur. Il viendra me dire après « qu’il a beaucoup aimé ce qu’on a fait ». Une fillette mal dans son corps, qui ne respire pas, Marion. Priscilla, une fille mal dans sa voix, peut-être un défaut de prononciation, j’ai du mal à l’entendre. Ryad, au charisme certain, mais qui ne sait pas quoi en faire. Guy (quand il se présente, j’entends toujours « qui ? ») instable et aux pieds d’argile. Entre temps il y a eu la récré, qui les a surpris. Certains groupes en ont profité pour répéter leurs rituels. Notre temps est différent. Ils se mobilisent aussi rapidement qu’ils se dispersent. J’ai envie de voir leurs yeux. Pour ce faire, je les fais jouer sur le regard latéral ; l’un regarde vers le fond de salle, tandis que l’autre fait des perturbations à la limite du champ visuel, que l’autre doit décrire sans faire bouger ses yeux. Ils le font tous bien, voire très bien. Ça leur plait. Ça leur servira je crois. Nous faisons une première approche du chœur par l’illustration principalement sonore. Puis j’évoque les formes basiques d’un récit : affirmation (assertion) négation exclamation interrogation. A tous, je demande un exemple pour chaque forme, ce qui me permet d’entendre comment chacun porte sa voix. Beaucoup ont une approche morale sur la négation, proposant par exemple « J’ai oublié mes chaussettes ». Un petit garçon dit « je n’ai pas mis mon soutien-gorge ». La forme exclamative est la plus propice au jeu et à la déconnade. Et puis c’est la fin. Timothée me remercie. Je tends la main aux gamins pour qu’ils tapent dessus. Début de rituel entre nous. Une fillette dit « Ah bon ? Pas de bizou ? » Belly me dit « Salam aleikoum » et se montre étonné et ravi que je lui réponde « aleikoum salam » (Ah bon ? vous connaissez ?) Les enfants s’en vont. Dylan se fait vertement tancer par la maîtresse. Petit débrief rapide avec Isabelle. J’aimerais bien qu’elle utilise ce jeu sur le regard latéral, et sur les formes du récit. Je lui demande de m’informer de ce qu’auront retenu les gamins in fine. Je ne les reverrai pas avant un mois. Déjà ils me manquent un peu. J’ai appris que la moitié d’entre eux avait la télé dans leur chambre. Aujourd’hui, seule l’élite échappe à la télé. Ça me navre. Je me dis que leur vie se joue aujourd’hui, maintenant. Et j’ai envie de les aider. Théâtre de rue ? Un moyen qui me parait quelque peu dérisoire au regard de l’enjeu. La prochaine fois j’ai envie de commencer par les faire jouer sur « présent » et « absent ». De leur faire jouer le théâtre de leur quotidien ; par exemple faire un procès autour d’une « bêtise » Petit courriel d’Isabelle suite à cette première rencontre : Bonjour, J’ai demandé aux élèves ce qu’ils avaient pensé de la matinée de lundi avec toi et ils ont été unanimes pour dire que c’était super ! Ils ont bien aimé les « bonjours », ont trouvé amusant de faire des gestes (certains continuent à se dire bonjour comme ça le matin), ils ont apprécié le miroir, les frères Ripolin et attendent avec impatience que tu leur dises qui a fait le meilleur train… Le bilan est donc très positif et ils seront très heureux de retravailler avec toi. 26 NOVEMBRE La première classe que je me fais est celle que je n’ai pas pu rencontrer lors de mon dernier passage pour cause d’absence d’Aurélie, la maîtresse C’est Odile, sa remplaçante, qui me reçoit. Nouvelle classe dont je connais seulement trois élèves qui avaient été transférés provisoirement sur la classe que j’ai déjà rencontrée. Premier contact. Blabla dans la classe. Petit jeu de présentation de soi-même. Une hyper timide : Océane, qui ne veut/peut pas jouer le jeu. On passe. Il y a les très présents immédiats, d’autres qui prendront un peu leur temps. Je repère des prénoms : Manon, Sarah, Salim, Elies, Nicolas, Marion, William… Nous allons rapidement dans la cour pour commencer les jeux. Comme je l’avais envisagé, le premier exercice concerne le absent/présent. Ils se prennent vite et bien au jeu. Puis devinette sur des personnages qui marchent. Même chose à deux. Ils sont dynamiques, efficaces. Je leur fais faire une chorale théâtrale qui les amuse beaucoup. Récré. Odile est ravie et très intéressée par ce qu’elle découvre de ses élèves. C’est une classe dont plus de la moitié à la télé dans sa chambre. Mon objectif c’est de faire remonter leur quotidien pour l’amener au partage et au mythe. Nous faisons un UnDeuxTroisSoleil théâtral trop dans la compète pour être efficace puis nous jouons au tribunal comme je l’avais imaginé la dernière fois. C’est déjà tout un binz de mettre en place les rituels de base, surtout que je ne suis pas spécialiste des procès : Président, accusé, avocat, procureur, jurés, témoins. Chance : un des enfants se rêvait déjà en avocat. Deux horribles forfaits seront jugés : une maculation criminelle des toilettes de l’école puis un accusé d’avoir mangé tous les desserts de la cantine. La première ébauche voit les enfants aborder les rituels sagement, mais dès la seconde tentative, certains mettent en place des méthodes tortueuses. Ilies (procureur) n’a qu’ « Objection » à la bouche mais se montre peu inventif sur les interrogatoires. Manon (avocate) lance une stratégie subtile qui se perd malheureusement dans le déni. C’est du gros défrichage qui demande à être découpé et mis en jeu. C’est ma seconde intervention dans la classe d’Isabelle mais c’est avec Sandra, cette fois, avec laquelle elle travaille en binôme, que j’entreprends la séance. Les enfants sont contents de me retrouver, fiers des rituels qu’ils ont conservés. On se fait une courte chorale théâtrale Jeu absent/présent, UnDeuxTroisSoleil théâtral qui s’avère plus intéressant dans la mesure où ils ne peuvent courir. J’en arrive assez vite au cœur du sujet : raconter chacun, du moins les volontaires, une histoire format histoire drôle. Jusque là, je m’étais soumis au rythme des enfants en m’évertuant à ce que les phases de travail ne soient pas trop longues. Sur celle là, ça va durer sans que personne ne fasse mine de s’en fatiguer. Après quelques essais timides mais déjà intéressants, je leur suggère de glisser des interrogations, exclamations, de dialoguer, de souligner leur récit physiquement et le résultat est impressionnant. Marie-Ange, une petite fille qui n’a l’air de rien se montre stupéfiante, alimentant son récit au rythme de son corps, l’imagination débridée, et un dialogue avec un géant qui a tellement plu que nombre de ses successeurs s’en sont inspirés. Un sens de l’absurde réjouissant chez tous ces mômes, outre un déficit énorme dans l’emploi du passé simple, qu’ils se coltinent sans ambages, et que Sandra se fera un plaisir de corriger dans ses classes. Et peu à peu, notamment avec les filles (Priscilla, complexée, qui se lance crânement, Tiphaine, surprenante) le vécu ressort, transformé. Raphaël, Martin, des gamins qui ont une présence et un sens du récit immédiat. Je me régale. Dernière phase, plus laborieuse : reprendre des récits en y intégrant leurs copains. On touche vite la limite. Les récits se délitent au profit de dialogues sans grand intérêt. L’espace est nié. Ils font un jeu qui leur plait mais n’a plus rien de théâtral. Quoiqu’il en soit, après ma première visite dans laquelle je prenais en pleine tronche leurs spécificités d’age et de conditions, je sens se pointer avec acuité les problématiques spectaculaires. Il y a du talent dans ces enfants, de l’envie, du plaisir. Et il va falloir emmener ça quelque part. 14 JANVIER Un bouquet de sourires dans la classe d’Odile. Ils se souviennent du procès et demandent si on en fait un autre. Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai en tête. On fait dans la classe un petit échauffement, sur le principe de la chorale théâtrale à partir de trois courtes phrases en deux sentiments, avec choré simple, rythme et intentions… et ils y vont de bon cœur. Toutes les classes alentour en sont électrisées. Ce qui les a marqué la dernière fois, c’est la proposition de faire les indiens pour rejoindre le préau (façon d’imposer une certaine discrétion dans les couloirs). Du coup on se le refait mais sur la thématique de l’espion. J’ai dans l’intention de les faire développer le récit mais on va faire un petit voyage pour y arriver. Au passage, Victor a l’air très très mal réveillé et du coup, se réfugie dans un refus plus ou moins mutique. Comme Océane lors de ma dernière intervention, il finira par entrer dans le jeu peu à peu, à son propre rythme. Ils sont très pêchus et volontaires mais les engagements changent. Manon qui était très dynamique sera aujourd’hui moins inventive. Je les mets par paires, dos à dos, bassin un peu baissé. L’objectif est de construire un monstre à deux, avec sa gestuelle, ses grimaces, ses cris. A part deux petites qui réussissent une démarche parfaite, c’est laborieux. Odile toujours passionnée par la différence des comportements qu’elle peut observer chez ses élèves. Nous passons au récit. Et je leurs demande de me raconter des histoires. Mais il n’y a pas de conteurs chez eux, personne qui a la flamme, l’inventivité et la fantaisie que j’avais trouvées dans la classe d’Isa, la dernière fois. Du coup, je leur demande de me monter un « bobard » à partir d’un reproche ou d’une question que je leur fais, avec la complicité d’un groupe de copains qui approuve et ponctue. Il y a un côté évidemment déroutant de se voir réclamer un mensonge par un adulte mais petit à petit ils se prennent au jeu. Et, enfin, les langues commencent à se dénouer. Mais il est très important que je leur fasse un reproche calibré et bien saignant. J’ai parfois l’impression qu’ils y vont juste pour ça. En tous les cas les parents peuvent être rassurés : ce ne sont pas des menteurs invétérés. Mine de rien, Victor, s’est proposé. Les chœurs sont peu présents et il faut que je les anime de la voix pour qu’il y ait quelques réactions. C’est d’autant plus intéressant que nous retrouvons là, sous une autre forme, la dynamique du procès. Les dénis, au départ bien plats, commencent à s’enrichir de détails abracadabrants et intéressants. Pour augmenter le rythme et la pression, je mets un gamin au milieu d’un grand cercle de ses copains. Chaque fois qu’il a un blanc, on commente et on avance d’un cran, jusqu’à ce qu’il soit cerné. Le jeu les émancipe. Et je me dis que je tiens là quelque chose qui leur est proche, après l’histoire du procès : la culpabilité, l’accusation, les stratégies de défense. En utilisant le principe de la chorale théâtrale pour le jury et les juges… quelque chose se dessine. Je les revois très bientôt, dans deux semaines, Et je vais voir avec Odile si on peut trouver quelque chose sur la justice et les mécaniques des procès pour les documenter un peu.
Après-midi : c’est le tour de la classe d’Isabelle, avec Sandra comme la dernière fois. Très présente et intervenante. Je l’appelle par son prénom, vu qu’il me semble difficile de l’appeler maîtresse. Du coup, des questions « vous vous appelez Sandra maîtresse ? » question à laquelle elle ne répondra pas, un peu gênée. C’est un après-midi très dispersé. Ils savent que je suis là depuis ce matin et ils m’attendent impatiemment. Mais les énergies sont plus exubérantes et moins concentrées que le matin. Petite chorale d’échauffement. Et du un deux trois soleil théâtral qu’il aiment beaucoup. Il y a dans cette classe des personnalités au talent évident : Marie-Ange, qui a un don de conteuse esbrouffant. Et Martin qui a des facilités pour endosser les personnages de façon efficace. Et puis d’autres qui ne sont pas loin. Une classe qui a de la hauteur avec son intello de service : Timothée qui va encore me surprendre par ses questions toujours un peu déroutantes. On sent que ça carbure dans sa tête. Moins à l’aise dans l’action, il veut avant tout comprendre. Il y avait un coté quasi miraculeux dans la façon dont ils avaient raconté leurs histoires lors de mon dernier passage, si bien que j’étais impatient d’y retourner. Evidemment, ça n’a pas été aussi simple. Les chœurs ont été beaucoup plus présents, limite dispersion malheureusement mais avec de belles réussites. Marie Ange a confirmé cette façon quasi innée qu’elle a de chercher avec son corps les aliments pour ses récits et ça fonctionne toujours aussi bien. Mais ça décolle peu dans l’ensemble. Un peu brouillon. Du mal à se concentrer. Je leur lâche le principe du bobard dont ils s’emparent de façon beaucoup plus détachée que la classe précédente. L’heure de la récré arrive sans qu’il se soit passé vraiment quelque chose de probant. Je suis insatisfait. Du coup, au retour de récré je leur parle directement en gromelot et je leur demande de me répondre. Certains, qui ont cru reconnaître de l’allemand, se risquent à un « ya » sonore mais limité. Je les renvoie alors à leur place. Il me faudra avoir fait presque toute la classe avant qu’un garçon – Raphaël si je ne m’abuse – se mettre à me répondre lui aussi en charabia et trouve ainsi la clef. Du coup je lui fais gagner une autre place, qui devient ainsi synonyme de réussite. Ils y arrivent alors presque tous, ravis de découvrir un nouveau jouet. Puis je m’essaie à les mettre en action en pur gromelot sur une très courte intrigue : A se dirige en pleurant vers B pour se plaindre de C. B va pour gronder C mais il découvre que C fait quatre fois sa taille. B appelle A. C leur prend l’oreille à tous les deux et les jette à terre. C’est le cote cascade qui a eu le plus de succès –évidemment-. Mais le jeu se fait bien. Martin se montre excellent dans la précision du jeu et la façon d’incarner son personnage. Une dernière demi-heure qui aura valu pour moi l’ensemble de la séance. On se sépare en se tapant dans les mains. Sandra va avoir une dernière demi-heure assez difficile à gérer tellement ils sont excités. 28 JANVIER Une séance de rattrapage pour la classe que je n’ai pu faire le premier jour, celle qu’Odile a pris en relais. Ils m’attendaient. Je les trouve dans le préau et ils me font le haka de leur classe, qu’ils ont monté eux-mêmes et tous seuls, d’après Odile. Ya de l’idée, ya du plaisir, ya de l’humour. C’est super. Je leur propose –l’idée du procès se concrétise et ils m’en parlent sans arrêt- le haka du jury : « Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est faux ? qu’est-ce qui s’est vraiment passé ? Faut pas nous prendre pour des veaux. On veut savoir la vérité . Meuh !». Odile me raconte qu’ils se sont penchés sur ce qu’était une enquête à travers l’analyse d’un épisode de Wallace et Gromit. J’ai l’idée de faire la même chose mais sur leur quotidien. Je demande un volontaire pour raconter, de la façon la plus précise possible, son lever de ce matin. 3 volontaires : Sarah, Manon et William. C’est Sarah qui s’y colle. Première étape : le récit. Puis l’interrogatoire pour préciser des détails. La reconstitution des lieux, au tableau. Puis la remise en espace de chacun des gestes effectués. On va même jusqu’à dessiner à la craie sur le sol les différentes pièces pour la reconstitution des actions. Je fais faire à certains le parcours de Sarah. Pour d’autre leur parcours personnel. Chacun a envie de raconter son lever. Le point sensible dans leur récit, je le sens, est la composition de leur petit déjeuner. Ils sont curieux et ils comparent. Et chacun de citer la marque du gateau ou des céréales qu’il prend. Il y a, mine de rien, dans ces récits des informations très intéressantes sur le quotidien de ces marmots et je sens qu’Odile jubile in petto. Un nouveau est arrivé dans la classe : Zouir. Un petit bonhomme très sympa et dynamique qui a trouvé sa place avec une facilité déconcertante et embraye sur notre travail comme s’il n’avait fait que ça toute sa vie. On a passé beaucoup de temps à ces reconstitutions. Tout le monde s’y est mis, même Victor, pourtant lent à la détente. Victor c’est un cas. D’origine portugaise (il ne répondra cependant jamais à mes "Bom dia"). Il s’habille tout le temps en treillis. L’armée est sa référence. Il aborde l’école comme un parcours obligatoire et ennuyeux avant de s’engager. Un avenir pré-maché dont il faudra bien un jour qu’il se débarasse. Si possible. Il s’agit maintenant d’y introduire un accident. C’est là qu’intervient le « Soudain… » Je leur fais reprendre des récits de lever mais avec la consigne d’introduire, quand ils veulent, un « soudain ! » et de développer. Au départ, c’est très factuel et détaché. Je leurs demande de nous introduire dans l’action, d’y mettre du souffle des gestes, du suspens. Et là… il y a un déclic. Jusque là ils étaient un peu faiblards dans l’imagination, le récit, l’engagement et tout à coup ça s’envole. Alexis, un déluré très actif et Zouir s’avèrent les plus convaincants mais tous ont fait un pas énorme dans la façon de raconter. Du coup, je peux les faire réagir en chœur de façon tout à fait naturelle. On vient de passer un cap important. Odile est aux anges. Moi aussi. On se finit par un « un deux trois soleils théâtral ». On se salut. A la prochaine ! 21 FEVRIER C’est la quatrième séance pour les deux classes et je commence déjà à me poser la question de ce que je vais leur laisser avec cette possibilité éventuelle qu’ils sortent avec un petit spectacle au bout. Comme d’habitude je commence par la classe d’Odile. Ils sortent de vacances et sont pour la plupart en pleine forme, reposés, mis à part Valentin qui a dû laisser hurler sa télé beaucoup trop tard dans la nuit. Je repars sur cette idée de procès qui est un peu le fil rouge de mon rapport avec eux mais dont je me demande si elle n’est pas piégeante in fine. Le procès intervient souvent lorsque les individus n’arrivent à régler directement leurs différents, d’où plainte et jugement extérieur. Ils sont toujours dans leur classe et j’en profite pour leur demander de m’écrire chacun quelques plaintes qui pourraient susciter plaidoiries. Ce sont des plaintes d’enfants, très proches du quotidien mis à part une qui se plaint qu’on lui ait coupé les pieds. On se lit ça et ça m’afflige un chouille : mauvaise piste. Descente au préau et je les divise en deux groupes de supporters qui des nouilles qui des frites braillant des slogans simples avec pour consigne qu’à tout moment l’un peut quitter son camp, les autres se taisant, et avancer un argument. Chœur choryphée version manif. Règle très bien respectée, arguments souvent sommaires. On passe au bleu contre le rouge et, même si les arguments ne planent pas haut, je constate qu’ils aiment ce type d’opposition. Récréation On repart sur un exercice plus théatral où il s’agit d’incarner surtout physiquement des personnages typiques. D’abord un gros, un maigre, un costaud, un peureux, un autoritaire, un lèche-bottes etc… Un costaud et un peureux se croisent, se retournent l’un sur l’autre, confrontation. Ça marche très bien sur le lèche-botte et l’autoritaire qui doivent leur rappeler des souvenirs. Même s’ils s’avèrent inégaux d’une séance à l’autre (Zouir et Manon moins péchus par exemple), la classe en général monte de niveau et certains s’affirment de plus en plus comme Alexis ou Sarah qui ont une vraie générosité, sans complexe, et du talent à la clef tandis que d’autres – William par exemple – commencent à trouver quelques clefs importantes. De tous les exercices sur lesquels je les ai lancés, c’est la chorale théâtrale (les « hakas ») qui les a le plus marqués et qui les amuse le plus. S’il doit y avoir restitution (ce n’est pas une obligation) Je projette de la faire plutôt sur cette forme efficace, spectaculaire, jubilatoire et qui correspond bien à leur age. On se termine en mêlée. Ils aiment ça.
Après-midi et retrouvailles avec la classe d’Isabelle & Sandra. Raphaël, rebelle perpétuel et plutôt futé, me montre le haka qu’il s’est fait. Une construction plutôt bien faite. Je les fais monter dans leur classe, ce qui ne leur plait qu’à moitié. Objectif : construire chacun un scénario sur le mode de celui que je leur ai fait faire en gromelot. 5 Actions simples. On sent qu’ils ont l’habitude de travailler en équipe. C’est ce qu’ils me demandent très vite. OK. Pour que les choses se fassent vite, de leurs dis que je les attends dans la cour où –le beau temps aidant – j’envisage de les faire travailler. Idée que je vais d’ailleurs très vite abandonner. Les scénarii arrivent petit à petit et pour certains c’est extrêment difficile à comprendre tant l’orthographe est inégale avec de vraies énormes carences pour certains. Mais je ne ferai pas de remarque sauf pour demander qu’il y ait des points d’interrogation aux questions, et deux points devant les dialogues, ce qu’ils ont fait pour la plupart. Le premier scénario que je leur fait travailler est celui de Marie-Ange. Un scénario qui a le mérite d’être simple, plus lisible que beaucoup, et qui raconte une histoire (certains scénarios ne sont que des juxtapositions d’actions). 1 : Morgane va demander des feuilles et un feutre à son grand frère / 2 : Le grand frère refuse et lui claque la porte au nez /3 : Morgane va se plaindre à sa mère. / 4 : La mère va voir le grand frère et lui enjoint de prêter ses affaires. / 5 : Le grand frère prète ses affaires à Morgane. Des préoccupations tout à fait concrètes et quotidiennes comme on peut voir. Je leur fais jouer les uns après les autres les personnages et les actions, au départ avec des dialogues normaux. Puis en gromelot. Comme la plupart des adultes, ils investissent leur jeu davantage dans les mots que dans l’interprétation et le gromelot les oblige à jouer plus. C’est plutôt pauvre et plat même si certains s’en tirent mieux que d’autres (Martin et Yannick comme d’habitude et, ce jour là, Riyad, toujours limite mais en grande forme) Il va s’agir de mettre du relief à tout ça, en gros, de faire du théatre à partir de ça et je vais passer une très grosse partie de la séance là-dessus alors qu’ils auraient, à l’évidence, préféré que je passe en revue leurs différents scénarios les uns après les autres. On va donc prendre chacun des points du scénario, le mettre en espace, exagérer le jeu, grandir les personnages, ajouter des pleurs et des grincements de dents. Et chacun y passe, y compris les plus timides (Priscilla entre autres et Lahna qui se lanceront cranement dans tous les exercices) et peu à peu l’histoire s’étoffe, le jeu grandit, ça devient du théâtre et ils voient la différence. Marie Ange s’avère ici moins bonne actrice que conteuse mais d’autres se montrent surprenant, David entre autres, très juste dans ses interventions. Après avoir détaillé on reprend le scénario complet. Je ne les lache pas là-dessus. Il faut tenir ce petit monde qui a tendance à se disperser. Ce qu’il va faire bientôt, récréation oblige. Au retour je leur demande de s’organiser (recruter/préparer) leurs autres différents scénarios selon le même principe. Où il appert que certains sont de simples juxtapositions de situations sans enjeux. D’autres jouent sur les mots sans que ça ne débouche (intérêt de l’écrit mais rien derrière). Certains sont demandés comme interprètes plus que d’autres, les rivalités ressortent, bref, ça tourne assez vite à n’importe quoi. Je les remets aussitôt sur l’estrade pour des interprétations et déformations de personnages comme nous l’avons fait dans la classe précédente, ce qui nous amène assez rapidement à terminer par un/deux/trois/soleils théâtral. C’est le problème de l’après-midi que de favoriser la dispersion et le manque de concentration. Il faut que je fasse avec. 21 MARS Ce n’est pas le moment que je préfère : celui où on dit « place aux choses sérieuses, on prépare une restitution ». Cette espèce de carotte agitée devant le nez des mômes et qui, pour les ateliers à l’année, bouffe une énorme partie des séances avec des résultats le plus souvent plus que mitigés, j’ai pu le constater maintes fois avec mes propres enfants. Cependant c’est aussi un viatique qu’ils emportent, une possibilité de concrétisation de tout ce qu’ils ont pu faire jusque là, l’opportunité pour eux de répondre, de s’étonner. Ça ne m’a pas été spécifiquement demandé au départ et je doute d’être présent quand ils vont l’utiliser mais, pour les deux dernières séances, j’ai décidé de prendre le risque. J’ai préparé un scénario différent pour chaque classe. Pour ce qui est de la classe d’Isabelle, que je prends pour une fois en matinée, il est basé, en toute logique par rapport aux séances précédentes, sur une restitution de très courtes histoires jouées entre eux un peu sur le principe des « battle » qu’on trouve dans le hip-hop ou la tectonique et qui leur parle bien. C’est ce que je leur explique au départ, et je leurs propose un haka de départ sur les mots : « on a plein d’histoires / qui nous sont arrivées / si vous voulez savoir/ comment ça s’est passé / approchez approchez / on va vous les raconter ». Suite à quoi je leur propose de se mettre en petits groupes pour établir leurs scénarios. C’est le matin, ils sont concentrés et ça se fait sans problème ni débordement. Martin se met avec Timothée, Marie Ange, Marine et David ensemble, 4 filles et un groupe de sept autour de Ryad qui m’a l’air de mener son monde avec un charisme certain (le jour où il saura l’utiliser pour autre chose que sa gloire immédiate, ça va faire mal), enfin un groupe de 3 avec Tiphaine, Fanny et un troisième dont je ne me souviens plus. Priscilla, arrivée en retard va se joindre tant bien que mal à un groupe qui ne la satisfera pas d’ailleurs. Ça bosse dur jusqu’à la récréation. Au retour, on commence à travailler sur chacune de ces saynètes. Comme on n’a pas le temps de les passer toutes en revue et entièrement, seuls les débuts de chaque saynète vont être travaillés, histoires de leur donner des pistes pour la prochaine fois. Si certains scénarios sont assez marrants, leur traitement est très plat, comme souvent. Mauvais placement, voix inaudible, blabla… Il faut à chaque fois démesurer, dynamiser, voire dynamiter chaque articulation, personnage, situation, réplique pour en faire quelque chose de théâtral. J’adore faire ça. Toucher ainsi la matière. Et si certains ont du mal à me suivre parfois, d’autres jouent le jeu avec plaisir. Thimothée, à peine se sont ils mis d’accord sur un scénario -plutôt succinct au demeurant- me sort abruptement « en fait je n’aime pas le théâtre » puis, après que je l’aie distordu (le scénario), me fait un grand sourire appréciateur. Ça se termine trop tôt. Ils ont du pain sur la planche et j’espère qu’Isabelle veillera à ce qu’ils continuent.
En aprem c’est la classe d’Odile. A eux je propose une mise en rituels d’un tribunal sauvage (ce ne sont pas les mots que j’emploie évidemment) sur le même principe un peu décousu, c-a-d pas forcément lié à un espace précis et à base de hakas. J’ai préparé un certain nombre des répliques les plus importantes ; d’autres (celles du jury notamment) ont déjà été créées lors des séances précédentes. JURY : Qu’est-ce qui vrai ? / Qu’est-ce qui est faux ? / Qu’est-ce qui s’est vraiment passé ? /Faut pas nous prendre pour des veaux /On veut savoir la vérité Jurez/ de dire la vérité / toute la vérité / rien que la vérité / levez la main droite et dites : Je l’jure ! Mesdames messieurs : La cour ! vous êtes accusés d’avoir commis moult forfaits. Maitre ! Monsieur le procureur Que les plaignants se plaignent : Monsieur le président votre honneur votre très juste majesté, j’accuse cet individu d’avoir : Fait pipi dans la piscine / Fait des dessins dans les toilettes / Etre arrivé en retard / Etre un gros bavard / Avoir cassé les jouets de son p’tit frère /Manqué de respect à sa mère etc… (texte donné en exemple mais sur lequel ils broderont) C’est grave !!! QUE REPOND L’ACCUSE ? C’est pas moi / J’l’ai pas fait C’est pas d’ma faute / Je savais pas J’aimerais bien être chez moi PROC : c’est vous ! c’est avéré ! nous avons des témoins AVOCAT : Objection votre horreur ! Ceci est une erreur Nous sommes au tribunal / pour juger un cas pas banal / ça finira-t-il bien ou mal / le suspense est infernal. PREMIER TEMOIN : Les bobards !!! Les plaidoiries : chant accompagné par tout son camp (défense ou accusation) Le jury a délibéré. On n’y comprend bien mais on s’est maré. L’accusé est condamné à la récré !!! La première partie consiste à mettre en place le haka de présentation (nous sommes au tribunal…) puis à distribuer les différents rôles. C’est Marion, la plus grande de la classe qui prend le rôle du juge, William fait le greffier. A l’arrivée du juge, chacun des personnages doit se placer en fonction de lui, ce qui leur permettra de pouvoir s’organiser en tout endroit. Ensuite, il faut alimenter les paroles par des gestes, faire jouer la musique des mots et la retenir ce qui va prendre la quasi-totalité de la séances. Manon, qui a pris le role de l’avocate et Sarah, celui de la procureure, ont envie très vite de faire autre chose ; c’est d’ailleurs pratiquement le cas de tous. Ils veulent intervertir les rôles, le repas est toujours meilleur dans l’assiette du voisin. Salim, dans le jury, prend un ascendant certain et l’anime de la voix avec conviction. Je leur donne la possibilité de pouvoir échanger les rôles avant la prochaine et dernière séance qui se passera dans quinze jours, à condition de se transmettre les répliques. On verra ce qu’il en restera. Pendant le trajet de retour je me fais la réflexion que, mis à part l’utilisation de certaines techniques de jeu spécifiques, cet atelier n’est pas vraiment de rue tout compte fait. Je rêve de travail directement dans l’espace public. Mais ce serait sans doute impossible avec des enfants. Rien que dans la cour, je n’arrive plus à les rassembler. Imaginons dans la rue ! 4 AVRIL Comme d’habitude, je me suis trompé de porte et c’est dans la classe d’Odile que j’ai glissé le nez alors que je ne les vois que l’aprem. Une occasion de se faire coucou et de les préparer. De l’autre côté, ils m’attendent de pied ferme et ils ont, me disent-ils, revus et fini leurs scénarios. On descend avec des ruses de sioux pachydermiques. Bien que les gestes du haka « on a plein d’histoires etc… » manquent un chouïa de précision je constate qu’effectivement (Isa me le confirmera) ils ont passé un bout de temps dessus. Pour ce qui est des scénars par contre, le groupe Marie-Ange & David ne retrouve plus le sien (ils vont le réécrire sans problème) et celui du groupe Riyad est sur le cahier de Tiphaine qui, pas de bol, est absente ce matin. Une absence qui pèsera d’ailleurs sur le travail de ce groupe qui aura bien du mal à se coordonner, du coup. Le premier groupe à passer est constitué de Yannick Guy et Belly. L’histoire d’un gamin qui s’endort, erre sur un chemin avant de rencontrer le lutin des rêves qui le mènera jusqu’au grand sorcier des rêves qui finira par le réveiller. Guy joue le dormeur et m’épate par son engagement - jusque là assez irrégulier - . Un vrai plaisir à voir, notamment sur le premier passage. Par la suite, il perdra un peu de son allant, peut-être de son intérêt aussi – répéter n’est pas toujours excitant -. Belly, qui m’a estomaqué par sa maitrise du vocabulaire, campe un lutin allant, rigolard et convaincant, suivi par un Yannick tout aussi pêchu à faire le sorcier. Un vrai bonheur ces trois là ! Beaucoup de générosité et de complicité. Haka rituel entre chaque saynète. Passent ensuite quatre filles autour de Malory. L’histoire : deux sœurs avec leur maman, qui va chez sa mère. Elles en profitent pour inviter leurs copines et faire une boum. La maman revient et les consigne dans la chambre. Je leur suggère qu’une fois les filles enfermées dans leur chambre, la mère se remette la musique et se mette elle aussi à danser. Très près de leur vie et occasion de danser. On se met tous à faire la rythmique. Puis c’est Martin, Timothée et Priscilla. Un trio improbable mais qui fonctionne bien. Un coq, une vache et un savant fou qui les plonge dans la machine à langages. Puis le coq fait meuh, la vache cocorico et le savant : ouah ouah. Priscilla et Tim s’en tirent bien mais c’est surtout le grand numéro de Martin. Marie Ange et David ensuite avec l’histoire de Morgane qui monte sur un tapis volant (Marie Ange) se fait déposer contre son gré et rencontre un Troll gentil, sa femme aussi qui finissent par l’adopter. Scénarios biscornus mais loin d’être inintéressants. Je leur mitonne une petite figure pour le départ du tapis, qu’ils font avec plaisir et très efficacement. Morgane assure, malgré sa timidité. Pour finir le groupe de Riyad qui s’en sort mal avec un parcours pourtant drôle dans une maison hantée. Mais Riyad tire la couverture à lui ce qui énerve Raphaël, Dylan fait ce qu’il peut. Il y aurait de quoi faire quelque chose mais ils ne sont pas vraiment avec moi. Un seul être nous manque… Ce que je constate est qu’ils ont bien évolué, progressé, qu’ils se sont affirmés et je suis bien infoutu de pouvoir déterminer si c’est dû au travail avec moi ou à l’évolution dans l’age, au travail de la classe…. Il y a deux adultes qui prennent des photos, Christopher, de l’école, et Caroline de l’Atelier 231. Ils sont bluffés par le boulot des gosses. Ça fait plaisir. En se quittant, on se multiplie les rituels de départ –mêlée notamment-. Je les laisse à leur vie à venir. J’espère qu’elle sera belle. L’après-midi est consacré à la classe d’Odile qui se trouve dans le même cas que moi : c’est son dernier jour. Contrairement à ce que je pouvais attendre, ils n’ont pas changé de rôle, et se glissent dans le leur avec pêche. On se refait plusieurs fois le rituel d’introduction et c’est parti. Je n’ai presque rien à leur préciser. Ils n’ont quasi rien oublié. William brâme comme un âne dans son rôle d’huissier tellement il veut bien faire. Marion fait sa juge discrète. Damien, Valentin et Marie font les accusés outragés. Zouir, Elies Alexis et Vanessa ( ?) font les plaignants outragés. Il n’y a que les plaidoiries qui soient insuffisantes. Sarah dans le rôle de la procureure se met à chanter danser et je suggère à Manon, avocate, de réciter un poème. Elle en sort un qu’ils ont étudié en classe. Il colle très bien à la situation, lui donne le bon ton, la bonne pêche. Je m’attendais à passer deux heures aux derniers réglages et en très peu de temps c’est réglé. Et très efficace, comme en attestent les deux adultes photographes, encore plus estomaqués qu’au matin. Il est vrai que je leur ai un peu plus mâché la besogne que pour la classe précédente. En tous cas, ils s’en sortent très bien. Une classe nettement plus solidaire que l’autre. Les individus sont reconnus, acceptés pour ce qu’ils sont et la dynamique de la classe en bénéficie. Après la récré, ils me montrent des saynètes qu’ils ont montées avec Odile à partir de personnages de contes de fées. Florentin notamment et Vanessa se montrent plus à l’aise dans ce jeu que dans celui que je leur ai proposé. Plus à l’aise avec des textes appris par cœur, dans un cadre plus classiquement théâtral. Ça m’intéresse beaucoup et m’interroge aussi. Qu’ai-je finalement apporté à ces gamins au delà du cours d’expression défoulatoire ? Et que restera-t-il de ce que nous avons fait ? J’imagine que tous les profs de primaire doivent un jour ou l’autre se poser la question. Au-delà des blocages et des possibilités qu’on décèle chez chacun, ce qui apparaît avant tout c’est que presque tout est possible, rien n’est encore joué vraiment. En tous les cas on veut y croire, et c’est particulièrement vrai pour un formateur et un metteur en scène : le regard qu’on jette sur ceux qu’on forme ou qu’on met en jeu ne peut être qu’ouvert, sympathisant, partisan, même si exigeant. Tout comme le regard du sculpteur au bloc de marbre qu’il va façonner. Sinon rien n’est possible. Ce qui veut dire que ces gamins, particulièrement, vont m’être chers longtemps, pour rien, tandis que la machine de la vie va les emporter dans ses ressacs impitoyables. A tout hasard et juste pour prolonger quelques jours ce dialogue que j’ai entamé avec eux, j’ai demandé à Isabelle de leur transmettre mon adresse mail. On verra ce qui subsistera par delà des vacances. Au cours de la dernière partie, Marion m’a glissé : « je ne serai pas juge, plus tard. » Pierre Prévost |
Au premier rang de g à d: William, Manon, Alexis, Marie & Salim Marie-Ange, Marine et David Guy & Belly A droite: Elies, tendant le doigt: Zouir Timothée, Martin & Priscilla Marie, Damien & Valentin Tendant le doigt: Sarah, se le mordant; Marion Ryad, Raphaël & Dylan William Vanessa, Florentin &Willam Devant: Alexis Au fond à gauche: Odile Dansant: Manon A gauche: Chris & Isabelle Photos: Caroline Lelong (Atelier 231) & Christopher Fortier (Ecole Franklin-Raspail) |
cie acidu / théâtre de rue